Additionnalité : pourquoi et comment garantir que la contribution carbone permet bien d’éviter des émissions futures
Cette année 2024 marque la mise en service de notre premier projet additionnel : le projet de récupération de chaleur fatale Pontigny, porté par l’entreprise française Eco-Tech Céram. Ce projet permet de remplacer du gaz par de la chaleur décarbonée sur un site industriel situé en Bourgogne, et donc d’éviter des émissions de gaz à effet de serre.
A l’occasion du lancement de ce projet partenaire, nous avons souhaité en profiter pour rappeler l’importance et la complexité du principe d’additionnalité, et expliquer comment notre solution innovante de contribution carbone permet l’émergence de nouveaux projets de décarbonation en Europe.
Par Perrine Gilles, Directrice Climat chez Inuk
Inuk est une entreprise française, spécialiste de la contribution carbone. Inuk a développé en 2018 la première technologie de traçabilité appliquée au crédits carbone. Nous proposons aux entreprises des crédits carbone made in Europe parmi les plus fiables du marché. Nos équipes accompagnent aussi au quotidien des entreprises de toute taille dans leur transition bas-carbone.
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1. Pourquoi le principe d’additionnalité est-il à la fois essentiel et complexe à mettre en œuvre ?
Le principe d’additionnalité est au cœur de la contribution carbone. Il garantit que la contribution finance des projets qui n’auraient pas été réalisés sans son soutien. En effet, si la contribution ne soutenait que des projets de décarbonation existants, elle n’aurait pas d’impact significatif sur la lutte contre le dérèglement climatique…puisque l’objectif est bien de développer de nouveaux projets, permettant d’éviter de futures émissions.
Cependant, respecter le principe d’additionnalité peut être contradictoire avec le critère de mesurabilité.
Pour rappel, la mesurabilité signifie qu’on est capable de mesurer l’impact positif d’un projet de contribution, c’est à dire le nombre des tonnes de CO2eq (équivalent carbone) qu’il a permis d’éviter ou de capturer.
On se retrouve donc face au dilemme suivant : d’un côté, si on veut pouvoir mesurer de manière précise les émissions évitées ou séquestrées par un projet, il vaut mieux que celui-ci existe, autrement on devra forcément avoir recours à des estimations. De l’autre, si un projet existe déjà, cela signifie qu’il n’a pas eu besoin de la contribution carbone pour être financé — donc difficile de justifier son additionnalité.
Voici un exemple concret :
Sacré casse-tête, n’est ce pas ? Bonne nouvelle : Inuk a justement trouvé une solution innovante permettant de réconcilier les principes d’additionnalité et de mesurabilité ! On vous explique tout ça dans la partie suivante.
2. Comment la solution Inuk permet-elle de concilier mesurabilité et additionnalité ?
Pour concilier ces deux principes, Inuk a adopté une approche innovante appelée “double-garantie”. Chaque crédit carbone Inuk finance deux types de projets : un projet en opération, qui garantit la mesurabilité des émissions évitées ; et un projet en recherche de financement, qui assure l’additionnalité en permettant l’émergence de nouveaux projets de décarbonation.
Ainsi, chaque contribution carbone soutient à la fois des projets existants et de nouveaux projets qui n’auraient pas vu le jour sans cette contribution.
Voici la répartition du revenu d’un crédit carbone Inuk :
Sortir d’un business model reposant sur la vente de crédits carbone
“C’est bien beau votre histoire, mais du coup Inuk a tout intérêt à inciter les entreprises à polluer pour vendre toujours plus de crédits carbone ?”
Effectivement, si le revenu des certificateurs repose uniquement sur la quantité de crédits carbone vendus, ces derniers ont tout intérêt à ce que les entreprises compensent toujours plus d’émissions, mais aussi à surestimer les émissions carbone évitées ou séquestrées par les projets partenaires, afin de maximiser la quantité de crédits carbone générés.
Afin d’éviter ces écueils, chez Inuk on s’est très vite posé la question du business model : comment développer un modèle économique vertueux qui ne repose pas uniquement sur la vente de crédits carbone mais qui, au contraire, nous permettrait de corréler croissance économique et impact positif ?
C’est pour cette raison qu’on a décidé d’intégrer le capital — lorsque la gouvernance du projet le permet — de nos projets partenaires (au niveau de la SPV, Special Purpose Vehicle). Cela nous permet à la fois de suivre les projets partenaires de très près et de participer aux prises de décisions afin de garantir leur intégrité environnementale ; mais aussi du générer du revenu supplémentaire grâce aux dividendes (à condition que le projet soit rentable évidemment).
Notre vision est donc de sortir d’un modèle économique reposant uniquement sur la vente de crédits carbone, en investissant dans des projets partenaires et en générant des revenus supplémentaires grâce aux dividendes. Notre objectif est de concilier les intérêts climatiques et économiques, et de contribuer à une baisse globale des émissions de carbone. Car ne l’oublions pas : notre objectif n’est pas de vendre de plus en plus de crédits carbone à des entreprises émettrices, mais bien de voir la demande chuter en raison d’une baisse globale des émissions carbone.
Où va le revenu de la contribution carbone pour les projets additionnels ?
Si le revenu de la contribution carbone permet d’apporter un financement additionnel aux porteurs de projets, l’affectation de ce revenu dépend du type de projet et des besoins du porteur de projet. Voici quelques exemples:
  • compléter le montage financier pour permettre la réalisation du projet ;
  • financer des efforts de R&D supplémentaires visant à décarboner davantage ;
  • allonger la durée du contrat de fourniture d’énergie renouvelable
Concrètement, comment ça fonctionne ?
L’intégration de nouveaux projets chez Inuk ne se fait pas en un jour : il s’agit d’un processus en plusieurs étapes, visant à évaluer le faisabilité du projet et son potentiel de décarbonation mais aussi à bien comprendre les besoins du porteur de projet. Ces projets sont sélectionnés avec soin par nos experts carbone et accompagnés dans le processus suivant :
  1. Identification d’un projet de décarbonation en recherche de financement : Notre équipe sourcing identifie un projet de décarbonation à fort potentiel en cours de développement, puis prend contact avec l’équipe projet pour confirmer le besoin en financement du projet et vérifier qu’il répond aux critères suivants :
  • Projets locaux, situés en France et en Europe
  • Indépendants et à taille humaine
  • Permettant d’éviter des émissions de GES de manière permanente, immédiate et mesurable — bien que, à ce stade, il s’agit d’hypothèses puisque le projet n’existe pas encore
  • N’ayant pas d’externalités sociales ou environnementales négatives
2. Etude de faisabilité : Une fois les critères validés, nous pouvons entrer dans la phase d’étude plus avancée du projet pour confirmer sa faisabilité : nous étudions ici attentivement la viabilité du projet -d’un point de vue technologique et financier.
  • Pour la partie technologique, nous analysons la documentation technique du projet, et conduisons des recherches complémentaires (littérature scientifique, projets similaires en opération, etc.) pour garantir la fiabilité de la technologie et son potentiel de décarbonation.
  • Pour la partie financière, nous étudions le montage financier du projet : qui sont les acteurs autour de la table, quels sont les mécanismes de financement, quels sont les financements manquants, etc.
  • Nous devons notamment nous assurer qu’aucun autre mécanisme de valorisation ne soit appliqué au projet : en effet, on ne peut pas valoriser plusieurs fois les mêmes émissions évitées, car ça serait physiquement et éthiquement incorrect. Pour cette raison, nous signons des partenariats d’exclusivité avec les porteurs de projets, qui s’engagent à ne pas valoriser leurs émissions évitées autrement qu’avec Inuk. Concrètement, cela signifie qu’ils ne peuvent pas générer de crédits carbone avec d’autres certificateurs, ni bénéficier d’autres mécanisme de valorisation existants même publics, tels que les Certificats d’Economie d’Energie (CEE). Pour les mêmes raisons, nous ne travaillons pas avec des porteurs de projets qui sont soumis au système européen d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (SEQE).
3. Définition des besoins de financement : Une fois la faisabilité du projet confirmée, Inuk et le porteur de projet définissent conjointement:
  • Les besoins en financement pour permettre au projet de voir le jour ;
  • La capacité d’Inuk à financer ce projet ;
  • Le montage financier le plus adapté.
Généralement Inuk apporte un financement complémentaire correspondant à 10 à 20% du CAPEX du projet. Pour respecter le principe d’additionnalité, il est essentiel que le montant apporté par le revenu de la contribution soit significatif, il ne peut donc pas être en dessous de 5%.
4. Financement du projet par les entreprises à travers l’achat de crédit carbone Inuk
Une fois le montage financier validé, le projet additionnel peut être intégré à notre portfolio. A ce moment, une sorte d’enveloppe “additionnalité” est ouverte, à hauteur du montant défini avec le porteur de projet en amont.
Ensuite, à chaque contribution carbone passée, les financeurs choisissent un projet en recherche de financement qu’ils souhaitent soutenir, en plus d’un projet en opération. Peu importe le prix du crédit carbone, 40% du montant sera versé sur un compte “additionnalité” qui sera ensuite débloqué une fois que l’objectif de financement sera atteint et transféré au porteur de projet.
3. Etude de cas : le projet Pontigny
Le projet Pontigny est un exemple concret de l’approche d’Inuk. Ce projet est porté par notre partenaire Eco-Tech Ceram, une jeune entreprise française basée à Toulouse, qui a développé une technologie innovante permettant de récupérer la chaleur fatale issue des processus industriels : l’Eco-Stock®.
« L’Eco-Stock® est un système de stockage thermique haute température (jusqu’à 1 500 °C) permettant de gérer l’intermittence et la variabilité des gisements et des consommations énergétiques. L’Eco-Stock® est capable de capter, stocker et restituer des Méga Watts décarbonés moins coûteux que ceux issus de la combustion de matières fossiles (gaz naturel, pétrole…) en contrôlant la durée, la puissance, la température et le débit des flux d’énergie. Le système permet de valoriser au mieux les énergies renouvelables et les énergies de récupération, conformément aux exigences de performance des sites industriels, ce qui permettra une croissance durable et rentable des industries. »
source : Eco-Tech Ceram
schéma de l’Eco-stock : installation sur un site industriel
Qu’est ce que la chaleur fatale ?
Certains procédés industriels nécessitent une forte consommation de chaleur — à 80 % issue de ressources fossiles, majoritairement du gaz naturel fossile. Or, une part importante de cette énergie thermique est perdue : d’après l’ADEME: 109,5 TWh de chaleur fatale sont rejetés en industrie, soit 36 % de la consommation de combustibles de ce secteur. C’est ce qu’on appelle la chaleur fatale. Cette chaleur perdue peut être valoriser de différente manière : par exemple pour des procédés internes ou en la réinjectant dans le réseau de chaleur urbain.
schéma représentant les flux énergétiques suite à la mise en place de la solution Eco-stock (ETC)
Dans le cas du projet Pontigny, la solution de récupération de chaleur fatale a été installée sur un site industriel de production de tuiles de l’entreprise Wienerberger. Ce site alimente ses fours et séchoirs avec du gaz naturel. Concrètement, l’Eco-Stock® permet de récupérer la chaleur fatale des fours — chaleur qui serait autrement perdue dans le procédé — pour la renvoyer vers les séchoirs, ce qui diminue donc considérablement la consommation de gaz. Moins de gaz consommé, c’est autant d’émissions CO2 évitées : ce projet permettra ainsi d’éviter l’émission de plus de 450 tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de plus de 3 millions de km par an en voiture !
« Grâce à sa solution Eco-Stock®, Eco-Tech Ceram va nous permettre de récupérer la chaleur fatale des six fours du site de Pontigny et de valoriser cette chaleur perdue dans nos séchoirs. Cela nous permettra ainsi d’éviter toute consommation de gaz au niveau des séchoirs et d’économiser 480 tonnes de CO2 par an. »
– Robert Lacroix, Directeur du Développement Durable, Wienerberger France
Quel a été le rôle de la contribution carbone dans le projet Pontigny ?
Dans le cadre de ce projet, la contribution carbone volontaire a été indispensable pour atteindre les conditions de rentabilité économique requise pour l’entreprise Wienerberger, à la fois grâce à l’apport initial en capital d’Inuk, et à l’engagement à valoriser les futures émissions évitées par le projet pendant toute la durée du contrat. Concrètement, sans l’additionnalité de la contribution carbone, l’industriel aurait très probablement choisi une solution moins chère et plus carbonée.
Ainsi, grâce à la contribution carbone, le contrat de fourniture de chaleur décarbonée, à prix compétitif, permettra la réduction de la consommation de gaz et donc une réduction des émissions de CO2 : c’est aussi à ça que sert la contribution carbone volontaire !
Et ensuite ?
De projet additionnel à projet en opération : une fois le projet en service, Inuk s’engage à valoriser les émissions évitées grâce à la contribution carbone. Pour cela, Inuk se connecte directement aux compteurs et relève la donnée de production en temps réel. En multipliant la quantité de chaleur produite par le facteur d’émissions associé, on en déduit la quantité de CO2 évitée.
Chaque tonne de CO2 effectivement évitée grâce à l’Eco-stock donnera lieu à un crédit carbone, qui sera commercialisé par Inuk. Ce revenu supplémentaire permettra d’améliorer la rentabilité du projet et d’assurer sa viabilité. C’est ce qu’on appelle un cercle vertueux !
Conclusion
Le principe d’additionnalité est au cœur du mécanisme de contribution carbone, pourtant il est difficile à mettre en œuvre puisque bien souvent en contradiction avec le principe de mesurabilité.
Inuk a cherché à développer une solution innovante permettant de concilier les deux, en associant à chaque crédit carbone deux types de projets : un projet en opération et un projet en recherche de financement.
Dans une démarche d’amélioration continue, notre équipe tech travaille actuellement sur le changement de protocole blockchain afin de pouvoir inscrire davantage de données sur chaque token Inuk, et ainsi améliorer le niveau de traçabilité de notre solution : à chaque passage de contribution carbone, le token de CO2 sera détruit et donnera lieu à deux tokens : un token “mesurabilité” avec les données concernant le projet en opération; et un token “addi” avec les infos concernant le projet additionnel.
N’hésitez pas à nous contacter pour nous faire part de vos questions et commentaires !
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